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Sculptures de pénis et de vulves,

mais pas que !

Sculptures de pénis et de vulves

 

Mercredi 11 août

          Figurez-vous une grande salle de classe un après-midi, une trentaine de gamins entre 8 et 12 ans surexcités par la chaleur et la perspective d’une activité collective. Et Victoire et moi, face à ce public en ébullition, leur annonçant qu’on va faire un atelier un peu particulier qui portera sur... les appareils génitaux. En espagnol, claro ! 

 

          Première étape, modelage des sexes masculins et féminins en pâte à modeler. Et comme on n’a peur de rien, les filles modelaient un pénis et les garçons une vulve. Une fois passée la surprise première des enfants qui n’en croyaient pas leurs oreilles, tous s’y mettent avec plus ou moins d’application et d’assurance. Au milieu des rires et des interpellations, les plus gênés se faisaient aider des plus entreprenants, surtout du côté des garçons pour qui l’exercice était plus difficile. Très rapidement, les filles ramènent sur la table une dizaine de petits penis de toutes les couleurs, globalement tous pareils, deux boules avec un colombin plus long au milieu. Comme on en a fait des dizaines de fois. Du côté des garçons, les sculptures tardent à arriver, on se lève puis on se ravise pour corriger, on rechigne à venir la poser devant tout le monde.

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Présentation des sculptures

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Une vulve plutôt bien réussie

          Finalement, on se retrouve tous autour de la table pour commenter le boulot, ou du moins essayer, parce qu’en espagnol c’est un peu compliqué, et puis il faut crier pour se faire entendre par-dessus les blagues et commentaires qui fusent. On aimerait bien leur faire remarquer qu’il est beaucoup plus facile de sculpter un pénis, ou encore qu’il en existe de toutes formes et couleurs dans la nature, exactement comme c’est le cas de leurs sculptures. On leur demande de les nommer, les rires éclatent de plus belle. Il faut s'époumoner pour réussir à les faire s’asseoir pour la deuxième partie de l’atelier. 

 

          Sur le tableau blanc, on a reproduit des schémas de l’intérieur de chaque sexe qu’on leur demande d’étiqueter. L’auditoire se concentre de nouveau, ce sont un peu toujours les mêmes qui interviennent mais tout le monde est attentif. Certains posent des questions, Victoire explique, ça marche bien. Une fois les deux sexes légendés, Yolima vient prendre le relais pour parler du respect de son corps. De sa voix perçante, à coups de phrases percutantes, elle leur rappelle que leur corps est leur propriété, que rien ne peut justifier qu’une tierce personne se l’approprie.

          Après son intervention, on surfe sur la vague de calme qui subsiste pour demander un dernier petit effort. On leur a préparé des polys avec les schémas à légender, qu’ils puissent le ramener chez eux et conserver une trace du sujet abordé. Ça les démange de se lever de leurs chaises mais ils s’exécutent. On aimerait leur dire quelques phrases de conclusion pour rappeler le sens et l’objectif de ces exercices mais ils sont déjà debout, en train de se bousculer pour le goûter. L’atelier est terminé, on a l’impression d’avoir couru un marathon, mais il suffit de regarder sur la table au fond de la salle, sur laquelle sont alignées les mini vulves et pénis de toutes les couleurs, pour se dire que rien que pour ça, ça valait le coup.

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Victoire en pleine explication des ovaires

La Paloka, lugar de paz

La Paloka

 

Jeudi 12 août

C’est Marcella, de l’association colombienne ARN (Agencia para la Reincorporación y la Normalización) qui nous a invitées à cet atelier autour des émotions. On y est allées sans trop savoir ce qui nous attendait, dans la Comuna 7, dans un lieu financé par l’ambassade japonaise, l’Union Européenne et Ecopetrol appelé “la Paloka”. Quatre murs entourent un grand espace vide et très haut de plafond qui distribue des salles plus petites tout autour. L’espace central est grand, ouvert aux quatre vents, planté dans un jardin. 

 

On se retrouve dans une des ses petites salles, avec une vingtaine d’enfants entre 6 et 11 ans. Marcella, avec sa casquette et son veston bleus, introduit la psychologue qui va animer l’atelier. Il s’agit de Julie Ramirez, psychologue pour enfants et adolescents. Marcella nous avait assuré qu’elle était excellente, et pour cette raison nous avait encouragées à venir. Julie commence en rappelant le thème de son intervention : la gestion de ses émotions. Elle est très posée, et s’attire toute l’attention de son auditoire avec assurance. Les enfants sont calmes. Elle projette en grand un conte illustré qu’elle fait lire à haute voix, et utilise des accessoires pour filer la métaphore du “climat mental” (le soleil, la pluie, l’orage…). Régulièrement, elle fait intervenir les enfants et répéter les phrases importantes.

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La psychologue Julie Ramirez

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Une future docteure, un joueur de foot, un astronaute

Sur un papier, elle leur demande de répondre aux questions suivantes : quand te sens-tu triste, quand te sens-tu heureux, quand as-tu peur ? Victoire et moi nous exécutons. L’atelier est ponctué de musique, tantôt apaisante tantôt motivante, en fonction de l’activité en cours. Ça marche super bien, son effet sur les enfants est indéniable. Un autre exercice consiste à écrire rapidement sur un post-it le nom d’une personne contre qui on est en colère, puis d’une chose qui nous fait peur, d’une chose qui nous rend heureux et d’une chose qui nous rend triste. Le post-it de la colère on le déchire, en fermant les yeux et en pardonnant à la personne, celui de la peur on l’écrase sous son pied, celui de la tristesse on le gomme et on le remplace par son contraire, et celui de la joie enfin, on se le garde dans la poche. 

 

Le dernier temps de l’atelier est consacré à la peinture, chacun doit peindre son rêve. On commence au crayon, et sur le papier coloré apparaissent les contours d’un instrument de musique, d’un terrain de foot, d’un hôpital, ou de maisons qui progressivement se remplissent de couleurs vives. On est toujours aussi concentrés, et alors qu’on s’applique à dessiner notre rêve, Julie vient nous chercher un par un pour nous amener au fond de la salle. Elle nous demande alors quel est notre plus grand trésor, puis nous fait répéter devant un miroir, en nous regardant droit dans nos propres yeux, qu’on va réaliser nos rêves.

L’atelier prend fin et un goûter est distribué aux enfants. On se sent apaisé, bien dans sa peau. En attendant le taxi, Marcella nous fait faire le tour de la Paloka, à l’étage. De là on voit tout le quartier. Elle nous explique qu’il était le théâtre d’affrontements violents à l’époque du conflit armé, et que ce lieu y a été érigé comme symbole de paix. Aujourd’hui les enfants viennent gratuitement y prendre des cours de musique, de danse, de théâtre et d’arts plastiques. Une action de plus pour guérir les plaies d’un peuple déchiré par des décennies d’affrontements violents, une belle idée qui, forte de son succès, contribue à changer la réalité.

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L'atelier peinture

La Colombie la nuit

 

Mardi 17 août

La Colombie la nuit

Avec une michelada dans le sang on sent mieux les choses, et le sel aussi. On réalise d’un coup qu’on est un vendredi soir à l’autre bout du monde. Que les rues sont pleines à craquer, que ce parc a des airs de fête foraine, que la musique emplit chaque mètre cube d’air, que l’arbre qui étend ses feuilles au-dessus de nos têtes n’a rien d’un chêne et tout d’un arbre tropical. Et puis on se dit que c’est un vendredi soir comme les autres ici, qu’on a beau être en plein mois d’août on est aussi en plein milieu de leur année scolaire, que les gens travaillent et les enfants vont à l’école. On fait le tour du parc, on passe d’un rayon d’enceinte à un autre, les vendeurs ambulants se succèdent tous les cinq mètres. Jus, fritures, bric et broc, et puis d’un coup des parasols qui abritent un écran plat et une caisse de DVDs. Un cinéma sauvage ? Et derrière, cinq stands parfaitement identiques. On laisse nos jambes nous porter dans l’air moite, on va aller danser la salsa. Et sous les ventilateurs infatigables on sent le rythme de la musique nous envahir, et on bouge les pieds uno dos tres à gauche, uno dos tres à droite, jusqu’à ne plus les regarder, ne plus compter, ne plus penser, rien que danser. On rejoint en rythme les gens au bar qui au début étaient si loin inaccessibles, ceux qu’on regardait admirativement entre deux gorgées de bière. Et on danse avec eux en essayant de les copier, on rigole, et on se quitte les jambes lourdes mais le coeur plein, en échangeant nos noms comme une promesse de se revoir, pour danser ensemble à nouveau.

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La michelada, bière, mangue, pomme, citron, poivre

et sel à foison

El Llanito, deux fois

El Llanito, deux fois

 

Lundi 23 août

Au début c’était un nom abstrait inscrit puis oublié dans une case de tableau Excel. C’est devenu une destination quand on a pris une buseta pour y aller, avec tout le matos pour organiser un concours de cerf-volants avec les enfants du coin. Une petite heure de trajet en longeant le fleuve. Une petite heure de sieste pour Victoire qui préfère se téléporter, laissant les paysages défiler devant ses yeux fermés. La destination devient un village quand on descend du bus les bras chargés, puis une personne quand arrive la copine de Yolima. Alors qu’on la suit sur la route brûlante qui passe entre les maisons, on croise les motos vertes fluo de la police colombienne.

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La buseta

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Le policier superstar à droite

L’un des policiers est en train d’échanger son casque pour un sombrero qu’il a attaché à la ceinture, dans sa housse à sombrero. Il nous emboîte le pas en l'enfonçant cérémonieusement sur sa tête. D’une voix chaude et forte il se présente, attrape l’une des lourdes caisses qu’on trimballe et la cale sur son épaule. Le mec est super sympa, il tape la discut’ à tout le monde, fait des checks à tous les gosses qui nous observent, suspendus aux terrasses. Son sombrero passe de tête en tête, il enchaîne les photos. Je crois comprendre que ce flic superstar est arrivé il y a trois jours dans la région, et qu’il fait partie des flics de la campagne colombienne. Il dit que ça leur arrive de monter à cheval, ça explique les éperons qui scintillent au bout de ses longues bottes.

En attendant on a déposé notre matos sur la terrasse d’une maison qui donne sur la place du village. Un grand terrain vague, avec un peu d’herbe pelée, surplombé de maisons en hauteur qui pointent leurs toits colorés au milieu des arbres. Avec à chaque bout deux grandes cages de foot que les enfants martèlent inlassablement de tirs au but. On sort le papier de soie, il y en a de toutes les couleurs. On en fait des piles qu’on distribue avec une bobine de fil, des ciseaux et un bouchon de plastique rempli de colle. Les enfants s’éparpillent sur la terrasse, et bientôt le béton du sol est recouvert de papier coloré. Au fond les plus grands taillent des branches au couteau en baguettes toutes fines. Leurs gestes sont assurés et précis, les branches se fendent et s’affinent sous leurs lames émoussées. On a beau essayer de les imiter, la lame glisse, le bois résiste et on n’en récolte que des ampoules sur les mains.

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La délicate étape du collage

Les ciseaux s’échangent, on s’aide pour recouvrir les fragiles structures du papier tout fin. On plonge les doigts dans la colle blanche pour coller volants, traînes, guirlandes. On nous apprend à percer le papier avec une écharde de bois pour faire passer le fil, on fait des nœuds tout collants. Et on recommence autant de fois que nécessaire, toutes les fois qu’on nous tape sur l'épaule. Bientôt ce sont des cerf-volants qui jonchent le sol, qu’il faut esquiver sur la pointe des pieds alors qu’on leur fait un dernier nœud, qu’on y dépose un dernier point de colle, qu’on leur ajoute une dernière frange. Et sous un soleil ardent, les enfants qui courent font s’envoler une nuée de cerf-volants. Il y en a de toutes les tailles, de toutes les formes, hauts dans le ciel ou qui mangent la poussière, mais tous traversent le terrain de foot en un éclair bariolé. C’est trop beau.

Le décollage

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On est cuites mais il nous reste une mission, sous la forme d’un mur blanc qui décrépit derrière un grillage rouillé. Alors on range les papiers et les ciseaux et on sort les pots de peinture et les pinceaux. Sur le mur on trace un grand losange un peu tordu qu’on entoure de nuages. Et chacun en remplit une partie de son pinceau. À quatre mains, puis six, puis dix, le losange se fait orange, vert, violet et jaune avec une traîne à volants rouges, et les nuages effacent de leur blancheur les tâches du mur abimé. Le corps tendu de la pointe des pieds au bout des doigts, le dos trempé par le soleil, on s’applique à redessiner les formes d'un contour noir, sans faire couler la peinture. Au pied du mur on patauge dans de la boue qui pue, nos vêtements sont tâchés, mais depuis l’autre bout du terrain de foot on peut maintenant voir un cerf-volant dans les nuages et lire “laisse voler tes rêves”. Comme si leur course folle s’était pour toujours figée sur ce mur inanimé, qui désormais crie son optimisme à tout le village, et pour longtemps. 

Le village est en bordure d’un lac grand comme la mer, immobile étendue qui semble s'étirer jusqu’aux montagnes au loin, mais avec tout ça on n'en avait presque pas profité. On rince nos pieds et les pinceaux dans son eau tiède, épaisse. Et finalement, c’est irrésistible,

on y plonge jusqu’à la tête. Dans l’eau marron se dissolvent les couleurs et notre lassitude. On y barbote, heureuses. Dans un calme absolu, seule une légère brise souffle en surface. Même le soleil s’est adouci.

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Fresque à dix mains

La rive du lac

Et comme une bénédiction, alors qu’on déboule trempées sur la terrasse, on nous tend un bac rempli de mangue verte croquante de sel et de citron. Les gens baignent dans une joie flottante, omniprésente. On remonte la rue plus légers, jusqu’au terrain de foot de l’arrivée. À gauche on descend la pente en apnée, à fond sur une moto nerveuse, jusqu’à un ponton qui avance sur l’eau ses planches hasardeusement disposées. On le traverse, concentrées sur nos pieds. Au bout, quand on lève enfin la tête, il y a le lac qui s’étend dans la pénombre grandissante du crépuscule. Comme si on marchait dessus. On attend la dernière buseta envoûtées dans le même songe. Et puis d’un coup ça nous frappe comme une évidence, on n’a qu’à revenir dimanche !

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On revient dimanche !

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Chantier en cours de construction

Promis on aura fini avant le Grand Paris

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